Plus spectaculaire que le flot des eaux, le flot de solidarité
Combien de personnes sont venues aider les victimes des inondations ?
Victoria Falco. La première semaine, on a compté près de 50 000 volontaires. Certains faisaient partie d’ONG, d’autres se sont organisés via la plateforme du gouvernement local « Valencia volontariat », de nombreux autres sont venus par eux-mêmes, apportant des vivres et leur propre matériel.
D’où venaient tous ces volontaires ?
Victoria Falco. Beaucoup de Valenciens sont venus aider, spécialement des jeunes, mais parmi les professionnels – pompiers et soignants – qui sont intervenus, beaucoup venaient de plus loin, d’autres régions d’Espagne, ou même de l’international. Certains volontaires sont même venus de Belgique, comme les SolidariTeams, à qui j’envoie un tout grand merci.
SolidariTeams
Les SolidariTeams sont des groupes de bénévoles mis sur pied par le PTB lors des inondations dramatiques qui ont ravagé plusieurs régions du pays durant lʼété 2021. Depuis, des SolidariTeams se forment lors dʼévénements exceptionnels pour aider. « Je pense qu’énormément de gens en voyant ce qui se passait avaient envie de faire quelque chose, mais quand on est isolé, c’est difficile de se mettre à agir. C’est faire partie d’une organisation qui m’a donné la possibilité d’aller aider sur place. Une fois arrivés, on a été marqués par le manque d’aide de l’État qui se voyait dans le manque d’engins lourds et d’organisation, et par le nombre et l’enthousiasme des volontaires qui essayaient de faire ce que le gouvernement ne faisait pas. Cette différence était visible sur les façades où le slogan “solo el puebo salve el pueblo” (“seul le peuple sauve le peuple”) était graffé un peu partout. » (Léon)

224 morts et 3 disparus
Quelle était la situation du point de vue médical ? Comment les différentes lignes de soins ont été affectées et ont réagi à l’inondation ?
Victoria Falco. La première ligne de soins s’est effondrée. Seuls les grands hôpitaux ont tenu. Il y a 57 centres de soins qui ont été touchés dans la région. Sur ces 57, 53 étaient déjà rouverts mi-novembre, mais sur le moment, la catastrophe a posé des problèmes insolubles aux gens : il était impossible de faire son suivi médical ou même d’acheter des médicaments car les pharmacies étaient aussi touchées. Les gens se sont aussi retrouvés face à un dilemme financier : acheter des médicaments ou bien de la nourriture ou du matériel pour réparer et nettoyer son logement. Car la santé ne dépend pas que des soins médicaux, mais aussi et surtout de déterminants sociaux. L’inondation a chamboulé la vie des gens dans tellement de domaines : l’alimentation, le travail, l’énergie... On ne pense pas non plus directement à la santé mentale, mais l’impact psychologique de la catastrophe a été très important, notamment chez les plus jeunes.
Est-ce que les politiques mises en œuvre à Valence ont permis de réagir adéquatement à la situation ?
Victoria Falco. D’abord il y a eu le jour même un manque de prévoyance de la part des autorités. Des alarmes téléphoniques étaient censées alerter les habitants, mais elles ont sonné trop tard, à 20h12, juste avant la montée des eaux, alors que l’agence météo avait lancé l’alerte rouge dès 8h du matin et recommandait dès 10h de ne pas sortir de chez soi. Mais bien avant ça, l’austérité imposée par les gouvernements qui se sont succédé (une coalition de libéraux et d’extrême droite au gouvernement local valencien et des sociaux-démocrates au gouvernement espagnol) a mené à des coupes dans les services d’urgences qui n’ont pas été capables de réagir. En plus de ce manque de moyens, les moyens existants n’ont pas été utilisés dans une réponse rapide, car il n’existait pas de structure dédiée, qui permette de s’organiser efficacement en cas de catastrophe.
Nous avons rencontré les mêmes problèmes en Belgique pendant le Covid. Nous avons de nombreux ministres de la Santé, mais on manquait une vision et des investissements dans la prévention, et surtout on manquait d’ une coordination centrale...
Victoria Falco. Ici aussi, une partie de la désorganisation vient de ce que chaque niveau de pouvoir rejette la responsabilité d’agir sur les autres. Le gouvernement valencien a aussi tardé à activer la procédure qui permet à des fonctionnaires des États voisins : pompiers, secouristes… de venir porter assistance. A cause de ces retards, de nombreuses personnes sont mortes.
En Belgique, ces dernières décennies, on a vu beaucoup de bétonisations, qui imperméabilisent les sols et donc nous rendent plus vulnérables aux inondations. Est-ce qu’il y a en Espagne des réflexions sur ce sujet ?
Victoria Falco. Pas vraiment car il y a beaucoup de climato-scepticisme en dans la classe politique ici. Le changement climatique n’est pas pris au sérieux et cela nous empêche de penser les adaptations nécessaires dans la manière de gérer les sols ou les constructions pour être prêts pour les catastrophes naturelles au lieu de gérer l’urgence une fois dos au mur. Et, justement, notre région est très sensible aux dérèglements climatiques, c’est une région connue pour les tempêtes. Les nuages se forment sur la mer méditerranée et entrent facilement dans notre région. Avec les températures extrêmes, les catastrophes naturelles deviennent plus fréquentes.

L’avenir est aux jeunes
Comment voyez-vous l’avenir après les inondations ?
Victoria Falco. On a parlé plus tôt du nombre de gens qui étaient venus aider, beaucoup d’entre eux étaient étudiants. Les jeunes ont été très présents pour déblayer les rues, leur aide a été cruciale. C’est important de le souligner car ici en Espagne ils sont vus comme fainéants, égoïstes, ne participant pas à la société... Mais qu’ils soient étudiants ou travailleurs, avec ou sans emploi, ils ont répondu présent. Il y a encore autre chose que je veux dire sur les volontaires : parmi eux, il y avait des sikhs, des musulmans et de nombreux migrants qui ont travaillé côte à côte avec lʼensemble des volontaires. Ils n’ont aujourd’hui pas assez de reconnaissance de la part du gouvernement et de la population.
A Madrid il y a 2 ans, on a vu une manifestation monstre, qui comptait près d’un million de soignants, venus défendre leurs conditions de travail et lʼhôpital public avec le slogan « La santé ne se vend pas, elle se défend ». Est-ce que les choses ont changé depuis?
Victoria Falco. Pas suffisamment, des investissements ont été fait au niveau fédéral, mais la santé est une compétence des États alors l’argent est dispersé. Les régions n’ont pas forcément la même vision politique que le gouvernement central et les investissements ne sont pas toujours suivis d’effets.
Quels sont les besoins selon vous ?
Victoria Falco. De plus de moyens bien sûr, mais aussi d’un système de santé qui fasse plus de prévention, de renforcer la 1ere ligne de soin (les généralistes, maisons médicales, infirmières à domicile...), on doit embaucher plus de monde pour répondre aux besoins de la population, parce qu’aujourd’hui cela se fait au prix de l’épuisement des soignants qui sont surchargés.

Entretien avec lʼinfirmière urgentiste Meritxell Cascán Montiel
État dʼurgence dans notre propre pays
Lorsque la DANA (depresion aislada en niveles alto, ou dépression isolée à niveau élevé en français) est passée au-dessus de Valence, nous avons proposé notre aide depuis Valence, mais ils nʼont pas eu besoin de nous. Nous nous sommes dit que nous avions de la chance de vivre dans un pays capable de sʼorganiser lui-même. Deux jours plus tard, lʼampleur de la catastrophe est apparue. Des morts, des disparus, des maisons effondrées, des parkings inondés, etc. Tout le monde a été horrifié par ces images et les rues se sont remplies de volontaires. Les images ont fait le tour du monde. Au bout de 4 jours, on a fait appel à nous. Notre groupe de secours est parti avec 18 personnes, et nos chiens de secours, dont un chien qui peut aussi retrouver des corps. Il sʼagit dʼune spécialisation très pointue, il nʼy a pas beaucoup de chiens de ce type. On nous a attribué une région et nous avons enquêté sur des parkings inondés, entre autres choses. Ce furent des journées passionnantes et intenses. Il y avait beaucoup de solidarité. Les gens étaient également très en colère dʼavoir été informés si tardivement. Il y avait beaucoup dʼanxiété : « Je ne trouve pas ma tante », « mon père », etc. Nous avons reçu beaucoup de sympathie et dʼapplaudissements pour notre travail.
Deux mois plus tard : 5 000 personnes toujours déplacées
Je suis retournée deux mois plus tard avec un autre groupe de notre hôpital. Ce groupe est spécialisé dans la santé mentale. Nous avions également récolté beaucoup dʼargent à Noël, en apportant des jouets et des livres aux enfants concernés. Nous avons fait des recherches, nous avons visité la mairie de Paiporta, les centres de santé et les centres sociaux et nous avons ainsi pris conscience de la gravité de la situation. Deux mois plus tard, 2 400 maisons étaient toujours touchées et 5 000 personnes toujours déplacées. Nous avons eu lʼimpression que toute une région avait été dévastée : maisons, voitures, arbres...
Stress post-traumatique
Au début, tout le monde sʼest concentré sur les besoins de base. Ensuite sont venus les problèmes suivants : la peur, le stress post-traumatique, le manque de leurs maisons, écoles, le transport public pour aller au travail, etc. Les gens décrivent lʼinondation comme un tsunami, lʼeau a vraiment déferlé en vagues gigantesques.Nous essayons de voir ce que nous pouvons faire pour la santé mentale. Mais en fait, il y a encore du travail dans tous les domaines : le logement, les soins de santé, lʼéducation... Il y a encore du travail de reconstruction pour les années à venir. Nous ne devons pas oublier les victimes. Elles ont beaucoup souffert et souffrent encore.
Le plus beau métier du monde
Il y a une énorme pénurie de personnel et les travailleurs de la santé qui sont là sont surchargés et épuisés. En tant que personnel de santé, nous sommes très bien formés, mais nous sommes sous-estimés. Lors de la pandémie, nous étions des héros. Mais rien nʼa changé depuis. Le personnel soignant a fourni un effort de 300 %. Au prix de leur propre santé. Nous ne pouvons pas nous détourner de ces conséquences. Il sʼagit dʼune véritable crise. Le personnel de santé doit être mieux valorisé : en termes de rémunération, de moyens et de qualité des conditions de travail. Pour moi, la santé est le plus beau métier du monde. Nous soignons les gens, soigner, cʼest aimer. Et cʼest de cela que le monde a plus que jamais besoin.
