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23 September 2024

Au secours ! Pourquoi nos hôpitaux ferment-ils ?

23 September 2024

L'accès aux soins

Ces dernières années, de nombreux services hospitaliers et petits hôpitaux ont fermé leurs portes dans notre pays. À Anvers, l'hôpital Erasme à Borgerhout a dû céder la place à l'hôpital Cadix d'Anvers-Nord, plus grand, malgré les protestations des habitants et des médecins généralistes. Cette année à Charleroi, six sites seront réduits à deux campus. À Renaix, Menin et Tielt, les maternités ont également été menacées de fermeture par le plan de M. Vandenbroucke, ministre de la Santé, qui vise à réduire le nombre de maternités. Après les protestations, certaines ont pu rester ouvertes. À Herstal, le service des urgences de l'hôpital André Renard a été repris par le CHU à cause d'une pénurie de médecins. Dans tout le pays, des milliers de lits d'hôpitaux ont été fermés par manque de personnel.

Cette tendance inquiétante menace l'accessibilité pour les patients
et accroît également la charge de travail du personnel. Que
se passe-t-il exactement ? Comment résoudre ce problème ?

Présidente de Médecine pour le peuple

Janneke Ronse

Un paysage hospitalier fragmenté

Bien que le financement des soins de santé dans notre pays soit largement public (notamment via la sécurité sociale), l'organisation du secteur est libérale. Les prestataires de soins - les médecins et les hôpitaux - sont payés à la prestation. Cela génère de la concurrence, une fragmentation et du gaspillage. De la concurrence, car les prestataires de soins sont poussés à prendre un maximum de patients et à s’accaparer les patients les plus rentables, au détriment des autres médecins ou hôpitaux de la région. Du gaspillage, car l’appât du gain les pousse à effectuer des prestations inutiles. Cela coûte énormément à la sécurité sociale et fait perdre en qualité pour les patients. Enfin, de la fragmentation, car la médecine de prestation offre très peu d'espace pour la collaboration.

Les fusions visent principalement à réduire les coûts, et non à améliorer la collaboration

En outre, dans le contexte libéral du « libre marché » des hôpitaux, leur financement est soumis à une forte pression due aux coupes réalisées ces 20 dernières années. Certains hôpitaux sont au bord de la faillite. L'analyse financière annuelle de Belfius montre qu'en 2022, sur 86 hôpitaux, 49 étaient en perte. Comme souvent dans le modèle libéral, on assiste alors à des fusions et à des économies d'échelle. Dans le secteur des soins de santé, c’est un

moyen de faire des économies. En regroupant les services, on espère réduire les frais de fonctionnement et donc travailler à moindre coût.

Depuis des années, les hôpitaux cherchent toutes sortes de moyens de faire des économies en travaillant « plus efficacement ». La fermeture de lits ou de services fait partie des solutions connues. Ce sont surtout les services dits à perte qui sont visés : pédiatrie, gériatrie... Ces services nécessitent beaucoup de personnel mais rapportent peu car ils n'impliquent pas d'opérations ou d'investigations majeures comme l'imagerie médicale lourde. Ils sont cependant essentiels pour fournir des soins de qualité à la population.

Les fusions sont également utilisées pour privatiser les soins publics, ce qui permet à la logique commerciale de progresser encore plus rapidement. À Ostende, par exemple, l'hôpital Henri Serruys a été privatisé après avoir fusionné avec l'AZ Damiaan.

Conclusion : les fusions et les réseaux de collaboration qui permettent de concentrer des traitements plus complexes et de réduire le gaspillage constituent une évolution positive. Mais s’ils sont aussi - et surtout - utilisés pour réduire la taille des hôpitaux locaux et/ou des services moins rentables, ce n'est pas une bonne chose.

De la concurrence entre de nombreux petits hôpitaux, nous passons à une concurrence entre quelques mastodontes. À Wilrijk, par exemple, deux hôpitaux voisins et concurrents - le ZNA Middelheim et le GZA Sint-Augustinus - ont fusionné en un seul hôpital, le ZAS, mais la concurrence avec l'UZ Antwerpen, situé à deux kilomètres, n'a fait que s'intensifier.

L'accès aux soins menacé

En réalité, l'agrandissement de nos hôpitaux n’améliore pas la qualité et l'accessibilité de nos soins. Au contraire, il les menace. La fermeture d'hôpitaux ou de services hospitaliers peut compromettre l'accessibilité pour les patients. Les hôpitaux de proximité sont très importants, surtout pour les patients les plus vulnérables. En effet, il est plus difficile de se rendre dans un hôpital plus éloigné quand on est plus âgé, moins mobile ou quand on a des difficultés financières. Un simple contrôle annuel du diabète, par exemple, peut ainsi devenir trop complexe et tomber plus rapidement à l’eau.

Il n’y a pas que l'accessibilité géographique qui se détériore : l'accessibilité financière aussi. Tout récemment, l'Autorité belge de la concurrence (service qui contrôle les grandes fusions d'entreprises) a exprimé de vives inquiétudes quant à d'éventuelles augmentations de prix à la suite de la fusion monstre du ZAS à Anvers. Du fait par exemple que de moins en moins de médecins sont conventionnés (= travailler au tarif convenu avec les mutuelles) ou de l’augmentation des suppléments d'honoraires (= le montant que les médecins demandent en plus du tarif convenu avec les mutuelles). Les suppléments d'honoraires représentent déjà une part importante de ce que les patients paient de leur poche pour être soignés. Les fusions et les économies d'échelle menacent d’aggraver cette situation.

La charge de travail augmente

Les fusions posent également des problèmes de charge de travail. Déjà avant le covid, plus d'un tiers des infirmières était confrontées à un risque élevé d'épuisement émotionnel. Elles ont souvent l'impression de ne pas pouvoir administrer les soins qu’elles voudraient. Elles n'ont pas le temps d’offrir une oreille attentive ou un geste de réconfort lorsqu'elles doivent courir d'un patient à l'autre. Dans nos hôpitaux belges, le personnel infirmier s'occupe de plus de patients que dans nos pays voisins, même si nous savons, grâce à la littérature scientifique, que cela crée des situations dangereuses. La plupart des fusions d'hôpitaux dans notre pays n'ont fait qu'aggraver les conditions de travail de nos infirmières. Fermer un service, des lits ou un hôpital quelque part ne fait pas disparaître les patients qui y étaient soignés : ceux-ci affluent dans d'autres services ou hôpitaux, où l'intensité du travail augmente considérablement. C’est également le cas dans d'autres services, tels que les médecins généralistes, les infirmières à domicile, les maisons de repos... Prenons l'exemple de la fermeture de la maternité de Lokeren. Cette décision a été prise à la suite d'une étude (du KCE) qui a calculé qu'une maternité devrait réaliser au moins 557 accouchements par an pour ramener le coût par accouchement au niveau de celui des maternités plus performantes. Mais jusqu'à 700 bébés naissaient chaque année à l'AZ Lokeren. Ces accouchements, et donc la charge de travail que cela représente, sont transférés dans d'autres maternités à Gand et à Saint-Nicolas, où le personnel est débordé.

L'accès à des hôpitaux de qualité est un droit fondamental

Si nous voulons améliorer l'organisation et le financement de nos hôpitaux, nous devons partir du principe que des soins de santé de qualité - y compris les hôpitaux - doivent être un droit pour tous. Selon ce principe, les hôpitaux de proximité constituent un maillon essentiel. Ils offrent des soins spécialisés de base, tels que la gynécologie, la pédiatrie, la psychiatrie... Ils sont proches et abordables. Si nous voulons vraiment fournir des soins de qualité et donc efficaces, l'accessibilité doit être l’élément central. Outre la prévention dans les quartiers et une première ligne forte avec suffisamment de médecins généralistes, les hôpitaux de proximité sont essentiels pour fournir les soins adéquats aux patients le plus rapidement possible.

La collaboration dans le domaine des soins de santé est cruciale. Tout prestataire de soins en conviendra. Et le gaspillage n'est jamais souhaitable. Mais ce n’est qu’en organisant autrement le secteur que l’on pourra contrer ce gaspillage et promouvoir la collaboration. Pour cela, il faut en finir avec la vision libérale de la médecine de prestation. Nous avons besoin d'une vision différente, d'une vision publique où les soins de santé sont un droit et non un marché.

Lorsqu'un hôpital choisit de se réorganiser, il devrait abandonner cette vision libérale plutôt que de la renforcer. Par exemple, en considérant ces hôpitaux de proximité comme une opportunité de collaborer davantage avec les soins de première ligne. Les médecins généralistes de Deurne et Borgerhout, par exemple, ne se sont pas contentés de protester contre la fermeture de l'hôpital Erasme local. Ils ont élaboré une proposition pour un centre «

Erasme 2.0 » : Un campus de santé avec des services de prévention, des soins de première ligne, des soins psychologiques et des soins spécialisés de base. Ils ont été soutenus par le conseil du district de Borgerhout, par la population et par le personnel de l'hôpital, mais le conseil communal d'Anvers a fait la sourde oreille.

La Lutte pour nos hôpitaux

Médecine pour le Peuple n'est donc pas opposé par principe à de nouvelles fusions ou à de nouveaux partenariats. Mais nous voulons préserver l'accessibilité et que les prix et les conditions de travail s'améliorent au lieu de se détériorer. Même en cas de fusion, il pourrait y avoir des garanties quant aux factures des patients et à la charge de travail du personnel. Une gestion locale peut s'inscrire dans la logique libérale ou opter pour la vision publique.

Lorsque le droit à la santé est menacé, il est important de soutenir la lutte du personnel et des patients pour préserver leur hôpital de proximité. De nombreux exemples nous montrent qu'ensemble, les patients et le personnel parviennent à résister à cette logique libérale dans les soins de santé.


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