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02 April 2024

Le personnel de santé palestinien se bat pour l'humanité

02 April 2024

Travail de santé en Palestine et la solidarité

Hanne Bosselaers, médecin généraliste à Médecine pour le Peuple, parle de la contribution du travail de santé en Palestine aux mouvements mondiaux de solidarité et de résistance.

Le lundi 18 mars, les forces d'occupation israéliennes (IOF) ont fait une incursion à l'hôpital Al-Shifa de Gaza pour la quatrième fois. Le raid s'est soldé par l'enlèvement d'au moins 80 personnes, dont le personnel médical de l'hôpital, et par des déplacements et des meurtres parmi les milliers de personnes qui cherchaient refuge à l'intérieur du complexe. Des rapports ont afflué sur des arrestations et des agressions physiques dont ont été victimes des journalistes en reportage à l'hôpital, en plus des violences dirigées contre les médecins, les infirmières et les autres travailleurs de la santé.

Depuis le 7 octobre 2023, le monde est choqué par la brutalité du génocide qu’Israël fait subir au peuple palestinien. Plus de 31 000 Palestiniens ont été tués et plus de 72 000 blessés en près de six mois d'attaques israéliennes.
 

 

Les cibles choisies par l'OIF reflètent la cruauté délibérée de la stratégie génocidaire d'Israël. Outre les attaques contre des écoles et des camps de réfugiés, les bombes et les tireurs d'élite israéliens ont pris pour cible des centres de santé,  des hôpitaux, des ambulances et des travailleurs de la santé. Alors qu'Israël a d'abord nié toute responsabilité dans ces attaques, les bombardements, les raids et l'évacuation forcée de centres de santé à Gaza sont devenus monnaie courante, entravant l'accès aux soins, terrorisant le personnel de santé, tuant des patients et des travailleurs, et détruisant la capacité de l'enclave à fournir des soins de santé à la population à un moment où elle en a grandement besoin.

Premières attaques contre un complexe de soins de santé 

 L’une des premières attaques contre un complexe de soins de santé a eu lieu le 17 octobre, quand Israël a bombardé l'hôpital Al-Ahli, tuant 500 personnes. Quelques jours plus tard, Al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza, a été pris pour cible.Le 11 novembre, Israël a assiégé Al-Shifa. 1 500 patients et travailleurs se trouvaient à l'intérieur, ainsi que des dizaines de milliers de personnes déplacées, qui s’étaient réfugiées dans la cour de l’hôpital. Le 22 janvier, des tireurs d'élite israéliens ont abattu le médecin-chef Hossam Hamada dans la rue. Au cours de ces attaques, l'IOF a également kidnappé et arrêté des professionnels de la santé, dont Ahmed Muhanna, directeur de l'hôpital Al-Awda.

Interview Sophia Assis et Hanne Bosselaers

Quel est l'impact de ces attaques incessantes sur le système de soins de santé palestinien et sur la santé des Gazaouis ? Comment les professionnels de la santé ont-ils réagi dans le monde entier ?

Sophia Assis, du Zetkin Forum for Social Research, s'est entretenue avec Hanne Bosselaers, médecin généraliste à Médecine pour le Peuple et militante en faveur de la solidarité avec la Palestine, pour répondre à ces questions. Elles ont également parlé de l'esprit de résistance qui imprègne toujours l'activisme sanitaire à Gaza.

 

Sophia Assis : Dr. Bosselaers, pourriez-vous commencer par me parler de vous et de votre expérience en tant que médecin en Palestine ? À quel moment de votre formation de médecin avez-vous pris conscience de la nécessité d'avoir cette expérience internationaliste ?

Hanne Bosselaers : Je suis une médecin généraliste. Je travaille à Médecine pour le Peuple (MPLP) à Molenbeek, Bruxelles. Il y a dix ans, je me suis rendue en Palestine, à Gaza, pour établir un projet de jumelage entre notre centre médical et Al-Quds, un centre médical et culturel situé à Beit Hanoun, au nord de Gaza. Il s'agit de l'un des centres de l'AWDA Health & Community Association, une organisation palestinienne locale de santé et d'aide à la communauté avec laquelle nous travaillons depuis longtemps en Cisjordanie, mais nous n'avions pas de contact avec sa branche de Gaza à l'époque. J'y suis allée pour travailler comme médecin généraliste. J'ai travaillé en consultation prénatale à l'hôpital, puis en médecine générale au centre médical de Beit Hanoun, où j’ai été confrontée à toutes sortes de problèmes.

Quand ai-je pris conscience de l'importance d’avoir une expérience internationale ? J'ai eu quelques expériences à l'étranger au cours de ma formation de médecin, dont un stage en Équateur, où j'ai travaillé en maternité et en pédiatrie dans un établissement public à Guayaquil. Là-bas, j’ai constaté à quel point la différence entre un système public non financé et un système de santé privé peut être importante. À trois pâtés de maisons de chez moi se trouvait un hôpital très lumineux et luxueux, tandis que la maternité publique était fréquentée par des personnes qui devaient faire la queue pour acheter leurs médicaments avant de venir accoucher. Elles souffraient déjà, mais elles devaient faire la file à la pharmacie pour acheter leurs médicaments. J'ai alors compris qu'il était important d'avoir différentes expériences du travail médical, pour analyser les différents systèmes de santé. À l'époque, je n'avais aucune expérience politique. J’étais surtout intéressée par la manière dont les soins et la santé sont organisés dans d'autres pays.

J'ai ensuite rejoint MPLP, et après mes études, on m'a proposé d'aller à Gaza pour mettre en place le programme de jumelage. C'est à ce moment-là que j'ai compris à quel point il était important de faire preuve d'une réelle solidarité, d'aider les autres médecins, mais aussi d'apprendre d'eux, et de revenir afin de militer sur la base de cette expérience. Dans le cas de la Palestine, il est vraiment essentiel de rapporter en Belgique son expérience de travail sous l'occupation, ce qu’on vit sur le terrain. De devenir activiste à son retour pour sensibiliser les gens. C'est l'une des choses les plus importantes que j’aie apprises de mes collègues là-bas.

 

Sophia Assis : D'après votre expérience de médecin et de militante, quelles sont les principales leçons que vous tirez de votre expérience avec les professionnels de la santé en Palestine ?
 

Hanne Bosselaers : J'ai été impressionnée par la qualité de leur formation et leur prise en charge des gens. Ils ont vraiment une bonne vision de la santé. Ils disposent de peu d'équipements technologiques : par exemple, il n'y a qu'un seul scanner IRM à Gaza. Mais si les travailleurs de la santé en Palestine disposent de moins de technologie que dans les pays européens, ils sont de meilleurs médecins. Ils sont très proches de leurs patients. Ils comprennent la santé communautaire et les effets de l'occupation et de la violation des droits fondamentaux sur la santé. C'est ce dont nous avons beaucoup discuté à l'hôpital. Nous avons parlé des violations de ces droits et de leurs implications pour la santé de la population. C'est quelque chose qu'ils ont vraiment intégré dans leur travail. Ce sont des professionnels très qualifiés et de qualité. Ils font aussi preuve d’un grand dévouement pour leur peuple, ce qui constitue également une forme de résistance : rester proche des gens, protéger leur santé, leur rendre la vie plus facile et plus saine. C'est une véritable mission pour eux et elle leur tient à cœur.

75 ans d'occupation ont insufflé un fort sentiment de résistance et de résilience parmi les travailleurs de la santé en Palestine. Ils possèdent une organisation et une vision collectives fortes. Ils trouvent toujours de nouvelles façons d'être ensemble, de prendre soin les uns des autres et de préserver la santé de la population. Imaginez l'hôpital Al-Awda : après deux semaines de siège, le personnel de santé s'est retrouvé enfermé avec des patients, sans électricité, sans médicaments, sans eau ni nourriture en suffisance. Ensuite, ils [les IOF] ont fait une incursion dans l'hôpital et ont capturé quelques-uns de leurs collègues. Le lendemain, le personnel de santé continuait à soigner les patients. Ils tenaient le coup et recevaient des patients. Je ne peux pas m'imaginer à Al-Shifa ou dans n'importe quel autre hôpital qui a été assiégé, bombardé, pris d'assaut par les soldats israéliens, et continuer à travailler de la sorte.

Lorsque j'étais là-bas, il y avait de grandes organisations qui mettaient en place des activités culturelles dans les quartiers pour voir ce qui pouvait être amélioré. Qu’il s’agisse de la création d’un petit espace vert ou de la construction d’un terrain de sport. Elles mettent en place de nombreux projets qui ne sont pas directement liés à la santé, mais qui visent à rendre la vie plus agréable et, en ce sens, plus saine. Tout le monde fait partie d'une organisation, que ce soit dans le domaine de la jeunesse, de la culture ou de la santé. De nombreuses personnes possèdent des notions de premiers soins, qu’elles peuvent prodiguer en cas de bombardement. Lorsqu'un événement catastrophique se produit, de nombreuses personnes sont compétentes et savent ce qu'il faut faire. Ce niveau d'organisation et de réflexion collective, je ne l'ai vu nulle part ailleurs dans le monde. C'est l'une des choses les plus inspirantes de la Palestine.

 

 
Sophia Assis : Comment le système de santé est-il organisé en Palestine ?

Hanne Bosselaers : Il est évidemment sous-financé, parce que l'Autorité palestinienne dispose de peu de fonds pour offrir des services de santé de qualité. Il existe différents systèmes : un système de santé public, financé par le ministère de la Santé de Palestine ; un système d'assurance publique auquel tous les Palestiniens n'ont pas accès ; et un autre de l'agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), qui s'occupe des réfugiés de Gaza (70 % de la population)... Ils disposent de nombreuses cliniques de soins de santé primaires dans toute la Palestine. Des pharmacies de base, des soins de première ligne et des dentistes sont à la disposition des réfugiés dans le cadre de l'UNRWA... Et puis il y a des ONG internationales qui fournissent des services de santé, ainsi que les ONG palestiniennes, comme AWDA, que nous soutenons. AWDA est une ONG palestinienne financée par des partenaires internationaux qui offre certains services avec le ministère de la Santé. Dans l'ensemble, il s'agit d'un système assez fragmenté, sous-financé en général, et qui dépend beaucoup des ONG et de l'argent provenant de partenaires extérieurs.

 

Sophia Assis : Quelle relation entretiennent les professionnels de la santé avec leur population ? Comment le concept de santé est-il mis en pratique en Palestine ?
 

Hanne Bosselaers : En Palestine, la santé, ce n’est pas seulement accéder à des soins quand on a une maladie. Les soignants palestiniens considèrent la santé dans sa dimension globale, et tiennent compte de ses déterminants sociaux. J'avais déjà été familiarisée aux déterminants sociaux de la santé avec MPLP, mais c'est devenu beaucoup plus concret en Palestine. Là-bas, on voit comment les gens souffrent d'un système économique complètement détruit par l'occupation. Il n'y a pas de liberté, les gens n'ont pas de travail, ils n'ont même pas d'eau potable... Leurs déterminants sociaux sont catastrophiques et ont beaucoup d'effets sur la santé, et ces médecins en sont vraiment conscients. Ils essaient non seulement de guérir, mais aussi de prévenir et de mener des actions communautaires.

Ils ont une vision vraiment globale de la santé. Ils se soucient également beaucoup de la santé mentale, qui est très difficile à mettre en pratique en raison du manque de disponibilité des psychiatres et des psychologues. Le niveau de traumatisme collectif est très élevé en raison des bombardements, de l'occupation et de la peur constante. Une grande partie de la population souffre de problèmes de santé mentale, qui sont bien documentés. Ils font de leur mieux pour les soigner et pour trouver une solution collective à la situation.

Ils organisent beaucoup d'activités pour les enfants, par exemple. Je suis impressionnée par ces Palestiniens qui, même aujourd'hui, dans les camps de Rafah, mettent en place des jeux pour les enfants. Ils parviennent à trouver du matériel de cirque, et des livres. Ils rassemblent des dizaines d'enfants pour leur faire penser à autre chose, et leur donner le droit d'être libres, de jouer et d'être des enfants, ce qui est essentiel. Je ne sais pas si, dans les sociétés occidentales, qui sont très individualistes, nous parviendrions à organiser cela si nous étions mis dans ce genre de situation aujourd'hui. Je ne le pense vraiment pas. D’après moi, nous aurions du mal à survivre.

 

Sophia Assis : C'est la rencontre de la santé, de la solidarité et de la résistance...

Hanne Bosselaers : Oui, les professionnels de la santé jouent un rôle très important dans la [résistance à l'occupation]. Ils repoussent leurs limites. J’ignore si vous avez vu la vidéo de cette gynécologue dans la cour de l'hôpital Nasser. Des tireurs d'élite ont abattu un homme de l'autre côté de la cour. Il était allongé au sol et se vidait de son sang. Alors que les tireurs d'élite étaient encore là, elle a enlevé son manteau et s'est précipitée vers le patient pour le protéger. Voilà l’esprit qui habite les professionnels de la santé : ils ne craignent pas pour leur propre vie. Leur objectif est d'aider le plus grand nombre de personnes à survivre, d'une manière réellement collective.

À ce stade, à Gaza, en plein génocide, le simple fait de survivre est un acte de résistance. Les soignants se donnent pour mission de sauver le plus grand nombre de personnes possible. Ils font preuve de beaucoup de courage et de dévouement. Ils sont une véritable source d'inspiration. Le concept de santé qu’ils défendent dans leur pratique, c’est le droit à la santé, le droit de vivre sans occupation. Des droits qui devraient être universels. Cette vision se traduit dans tous les aspects de leur travail de santé. C’est dans cette optique qu’ils s'organisent, même s'il y a des courants politiques différents. La défense du droit à la santé pour tous est partagée dans l'ensemble de la société palestinienne.

 

People's Health Dispatch  est un bulletin bimensuel publié par le  People's Health Movement  et Peoples Dispatch. Pour plus d'articles et pour vous abonner à People's Health Dispatch, cliquez  ici.


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