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21 November 2024

Travailler ne devrait pas être dangereux pour la santé

21 November 2024

Travailler ne devrait pas être dangereux pour la santé

Depuis 40 ans, les chiffres officiels concernant les accidents du travail montrent une certaine stabilité. Pourtant, en regardant de plus près, on voit que de plus en plus dʼaccidents ne sont pas reconnus par les assurances et que les victimes de ces accidents hésitent de plus en plus à les déclarer… Décryptage de Elisa Munoz Gomez via Solidaire.

Loin dʼêtre une problématique du passé, liée aux dangers qu’on retrouvait dans les grandes usines, les accidents du travail sont toujours aussi fréquents en Belgique. Voilà presque 40 ans que le nombre d’accidents graves n’a pas diminué. Pourtant, lors d’un accident de travail, c’est très souvent le travailleur qui en est tenu responsable : c’est lui qui n’a pas respecté les mesures de sécurité, qui n’a pas le bon équipement professionnel individuel, etc.

Mais qu’en est-il sur le terrain ? Médecine pour le Peuple, réseau de maisons médicales lancé par le PTB, sʼest penché sur ce (gros) problème.

Des assurances qui cherchent à minimiser le problème

En Belgique, c’est une loi de 1971 qui définit ce qu’on entend par accident du travail : cʼest un « évènement soudain » qui provoque une « lésion » (physique ou psychique) au « travailleur », c’est à dire à une personne présente lors de l’accident à cause de son travail. En 1971, la Belgique a également choisi de confier la gestion des accidents du travail à des assureurs privés. Ces assurances ont pour mission de reconnaître – ou non – les accidents ainsi que l’évaluation de leur impact.

Fedris, l’agence fédérale du risque professionnel, compile depuis 1985 les chiffres des accidents de travail. Si on regarde les chiffres des 40 dernières années, à première vue, il y a de moins en moins d’accidents du travail. Mais cʼest à nuancer avec deux informations importantes : non seulement les assurances refusent de plus en plus de reconnaître les accidents mais, de plus, les travailleurs déclarent de moins en moins lorsqu’ils subissent un accident de travail.

Lʼindicateur le plus objectif des accidents du travail est en réalité le nombre d’accidents du travail graves car ceux-ci ont tendance à être plus vite déclarés et à être reconnus par les assurances. Un accident du travail est considéré comme grave quand il cause une séquelle à vie au travailleur (à partir 1% d’incapacité permanente), quand il ne parvient plus à plier complètement un doigt ou sʼil boîte depuis l’accident, par exemple. Par rapport à ces accidents, la tendance sur les 40 dernières années est plutôt à la hausse et ce malgré tous les progrès technologiques qu’on connaît.

La faute à « pas de chance » ou à la recherche de profit ?

On ne cherche pas toujours ce qui cause les accidents du travail et lorsque l’analyse en entreprise est réalisée, cela reste surtout orienté vers la recherche d’une responsabilité humaine, une faute du travailleur au bout du processus. L’analyse de ces accidents ne permet pas souvent une remise en question des conditions de travail dans lesquelles l’accident a eu lieu, malheureusement.

Pourtant derrière beaucoup d’accidents se trouvent des causes structurelles : augmentation de la charge de travail, manque de moyen humain ou encore travail de nuit... Pour ce dernier exemple, rappelons que l’humain est fait pour être actif la journée et non la nuit.

Pourtant, le travail de nuit est de plus en plus banalisé et cela a une conséquence directe sur les accidents de travail. Le travail de nuit étant systématiquement favorisé par les derniers gouvernements ces 10 dernières années, on observe logiquement une part des accidents pendant la nuit de plus en plus importante. Dans ce sens, la facilitation des heures de travail de nuit discuté par le prochain gouvernement Arizona pose question. Tout comme la flexibilisation extrême et le recours abusif à l’intérim.

L’expérience des travailleurs étant un important garde-fou face aux accidents du travail. En effet, si seulement 11 % des travailleurs comptent moins d’un an d’ancienneté, ceux-ci provoquent quasiment un accident sur trois. C’est également ce que pointe du doigt la CSC sur la sur-représentation des travailleurs de la sous-traitance ou des intérimaires dans les accidents du travail : il y a deux fois plus de chance d’avoir un accident du travail pour un intérimaire à poste de travail égal.

Au final, c’est dans les entreprises avec le plus de flexibilité qu’on observe déjà le plus d’accidents du travail, dans le secteur de la construction où la sous-traitance est omniprésente (1ère profession en termes d’accident du travail) ou bien dans le secteur des titres services (2ème).

Responsabiliser les patrons

A côté de ces causes structurelles, les accidents sont parfois aussi la résultante de patrons peu scrupuleux concernant la sécurité au travail. Pour ceux-ci, un outil appelé la sanction pour les entreprises en risque aggravé a été mis en place et, en 2021, la Cour des comptes en a fait une évaluation. Via cet outil, les entreprises sont sanctionnées si leur taux d’accident est largement supérieur à la moyenne.

Mais la Cour des comptes pointe plusieurs limites dans ce système :

  • Le calcul du « surplus » d’accidents tend à sanctionner les petites entreprises (90 % des entreprises sanctionnées ont moins de 50 travailleurs)
  • Les entreprises sanctionnées ne payent pas toujours leurs amendes
  • Rien ne garantit dans les faits que cette sanction serve à la prévention des accidents

Il faut aussi ajouter le faible montant des sanctions. Lʼamende est de 4 037,57 euros pour les entreprises de moins de 50 travailleurs. Elle augmente de 2 691,71 euros par tranche supplémentaire de 50 ETP (équivalents temps-plein) et plafonnée à 20 187,86 euros.

Écouter les travailleurs

Il est indispensable de faire jouer un rôle central aux travailleurs dans la lutte contre les accidents du travail. Le rôle des représentants au CPPT (Comité pour la prévention et la protection du travail) doit être renforcé et non plus limité à un avis consultatif. Il faut également diminuer le seuil du nombre de travailleurs pour mettre en place cet organe de concertation qui est actuellement de 50 travailleurs. Car cela fait que plus d’un accident sur trois n’est pas discuté avec les travailleurs.

Il faut également regarder avec la plus grande méfiance les nouvelles propositions sur la table du gouvernement Arizona. Tout porte à croire qu’une bonne part de celles-ci vont accroître les circonstances qui amènent à tant d’accidents du travail. Il est temps d’abandonner le fatalisme sur ce phénomène et d’incriminer la responsabilité plutôt quʼun prétendu manque de chance. Les conditions de travail se détériorent notamment à cause de la course à la flexibilité et celle-ci mène directement à plus d’accidents du travail graves, comme les chiffres le montrent…


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