Opinion
11 May 2023

Comment ramener la production de médicaments sur notre continent ?

11 May 2023

Publié sur L'Echo

La délocalisation vers la Chine et l'Inde de la fabrication de principes actifs pour les médicaments est le résultat de décisions politiques de la part des entreprises pharmaceutiques. Pour résoudre ce problème, nous devons également oser regarder la voie publique.

Les pénuries de médicaments affectent nos pharmacies depuis un certain temps. Dans toute l'Europe. Les conséquences pour les patients sont réelles. L'hiver s’est révélé relativement calme sur le plan politique. Nos ministres et la Commission européenne sont restés les bras croisés. 

Mais en l'espace d'une semaine, deux évolutions significatives ont pu être observées. Mercredi dernier, la Commission européenne a publié une proposition législative et mercredi dernier, 18 États membres ont échangé concernant un Critical Medicines Act, dont notre ministre de la Santé publique Frank Vandenbroucke est l'un des initiateurs.   

La clé du débat réside dans la capacité de production 

Dans notre analyse de ses deux propositions, la clé du débat réside dans la capacité de production. 

Que faire quand de grandes entreprises pharmaceutiques comme Sanofi ou Novartis décident d'arrêter temporairement, sinon définitivement, leur production, ou de produire moins que promis? 

Les chiffres sont ce qu'ils sont. Aujourd'hui, au moins 66% de tous les principes actifs de nos médicaments sont produits en Inde et en Chine. En 2000, on ne parlait que de 31%. Cela pose évidemment des problèmes d'approvisionnement. Le positif, c’est que les politiques reconnaissent enfin officiellement qu'il s'agit d'un problème. La disponibilité de médicaments doit être garantie à tout moment.  

Mais la question est de savoir pourquoi le ministre se concentre principalement sur notre dépendance vis-à-vis de ces deux pays, et non sur notre dépendance aux entreprises qui ont organisé cette délocalisation au cours des 20 dernières années. La question est pertinente, car la réponse déterminera la solution que nous devons adopter en tant que société.  

Pas d’argent public à Big Pharma 

"Les producteurs doivent être encouragés", affirme le ministre Vandenbroucke. Avec le soutien du gouvernement et des accords sur les prix, ajoute-t-il. Est-ce vraiment le chemin à prendre? La question se pose. De précédentes initiatives dans ce sens n’ont pas été un grand succès. En 2020, le président français Macron a annoncé avec beaucoup de panache qu'il souhaitait ramener la production de paracétamol en France. Pour ce faire, il a débloqué 200 millions d'euros de subventions, principalement pour le géant pharmaceutique français Sanofi.   

Nous ne voulons pas que davantage d’argent public, issus de nos impôts, aillent aux multinationales pharmaceutiques. 

Dans notre pays, le secteur bénéficie déjà de près d'un milliard d’euros d'allègements fiscaux, 872 millions en 2016, selon les calculs de Test-Achats. Pourtant, Big Pharma réalise suffisamment de profits. Avec un bénéfice net de 13,8 %, l'industrie pharmaceutique est le secteur le plus rentable, le bénéfice moyen dans le reste de l'économie étant de 7,7%.

Une production publique de médicaments est nécessaire 

Ceux qui optent pour des aides publiques pour ramener les capacités de production en Europe passent à côté du cœur du problème. La dépendance de l'Inde et la Chine pour les principes actifs est un symptôme, mais ce n'est pas tout. Il suffit de penser au principe du flux tendu, qui fait que les stocks de réserve sont toujours trop limités, ou à la distribution parallèle. Si nous nous heurtons aux lacunes du modèle de libre marché, nous devons également avoir le courage de changer de cap.   

En 2019, Jim O'Neill, économiste en chef chez Goldmann Sachs et conseiller du Premier ministre britannique Cameron, a conclu, concernant le manque de nouveaux antibiotiques efficaces, qu’une production publique serait nécessaire. L’année dernière, l'économiste italien Massimo Florio a rédigé un rapport pour le Parlement européen sur la façon de mettre en place une telle alternative publique. 

Un exemple édifiant existe aux États-Unis. Face au problème de la pénurie de médicaments, près de 800 hôpitaux ont décidé en 2018 de prendre en charge eux-mêmes l'achat et la production de leurs médicaments, afin de ne plus dépendre de géants pharmaceutiques comme Pfizer ou Roche. Civica RX est une organisation à but non lucratif qui vend depuis plus de 50 médicaments génériques. Pour ce faire, ils négocient des contrats à long terme avec des producteurs de médicaments génériques, d'une part, et mettent en place une capacité de production publique propre, d'autre part.  

L’Europe a besoin d’initiatives comme Civica, qui sert déjà plus de 1.550 hôpitaux. Civica donne la priorité à la santé des patients et créent de nouvelles capacités de production et des emplois supplémentaires dans nos pays. Il est temps que le ministre Vandenbroucke et la Commission européenne incluent l’alternative publique dans notre modèle pharmaceutique de l’avenir.   


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