Opinion
22 January 2023

La pénurie de médicaments s’intensifie : “Dans la loi, il est prévu de sanctionner les firmes mais la Belgique préfère fermer les yeux”

22 January 2023

Publié dans la DH

Dans toute l’Union européenne, les stocks de médicaments sont sous pression. Le manque de transparence des firmes pharmaceutiques rend la situation globalement difficile à évaluer, une situation qui relance le débat sur la rentabilité du secteur. Sofie Merckx, médecin généraliste et cheffe de groupe PTB à la Chambre, dénonce l’attentisme des autorités belges.

Les semaines passent et la pénurie de médicaments ne cesse de s’aggraver en Belgique. Actuellement, ce sont entre 300 et 400 produits qui manquent à l’appel dans nos pharmacies. Une situation qui complique la vie quotidienne de nombreux patients. 

Un total qui représente près de 3,5 % des médicaments disponibles, a précisé le ministre de la santé, Frank Vandenbroucke, en Commission santé à la Chambre ce mardi. “Mais c’est un chiffre trop positif car il s’agit de médicaments importants pour les patients et c’est une situation qui pose de nombreux problèmes à nos pharmacies, a-t-il expliqué. Une des explications liée à cette problématique est la pression mise sur l’approvisionnement de la chaîne de production et l’impact de la guerre en Ukraine. Nous sommes confrontés à un problème complexe qui touche l’Europe et le monde entier”. 

“On court derrière le problème” 

Face à cette situation, un arrêté royal a été signé vendredi dernier, établissant un cadre légal pour interdire l’export de certains médicaments en cas de menace de pénurie, selon des critères très précis. Les médicaments figurant sur cette liste ne pourront donc temporairement plus être exportés vers d’autres pays en cas de pénurie en Belgique. 

Concrètement, l’interdiction d’exportation aura lieu lorsque l’indisponibilité de ces médicaments essentiels sera cataloguée par l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) comme “probable” ou “certaine” pendant au moins un mois. 

Pour Sofie Merckx, médecin généraliste et cheffe de groupe PTB à la Chambre, c’est une mesure totalement insuffisante. “Le problème, c’est qu’on peut d’un côté limiter certaines exportations mais les critères sont très sévères, juge-t-elle. Cela risque de concerner au final peu de médicaments. On peut aussi se demander si d’autres pays ne vont pas aussi réagir en empêchant l’exportation de certains médicaments, c’est un système qui fonctionne dans les deux sens pour d’autres produits, je ne suis pas convaincue que ce soit la solution, ça reste courir derrière le problème”. 

L’autre source de critique, c’est le manque de contrôle et de suivi des firmes pharmaceutiques, récemment pointé du doigt par Test-Achats. Sur les ondes de Bel RTL, ce jeudi matin, Jean-Pascal Labille, Secrétaire général des mutualités Solidaris, a par ailleurs jugé que le prix des médicaments restait trop élevé en Belgique. “On estime qu’il y a un milliard d’euros de surprofit des firmes pharmaceutiques, a-t-il commenté. Ça pose un énorme problème d’accessibilité aux médicaments et plus globalement aux soins de santé. Pour certains médicaments, le prix est 20 fois le juste prix. C’est tout à fait inacceptable pour nous. Sur le budget de 5 milliards pour les médicaments en Belgique, il y en a au moins un milliard de trop”. 

Un manque de transparence 

“Pour avoir un effet sur la pénurie de médicaments, il faut donc opter pour des solutions à la source, poursuit Sofie Merckx. En théorie, les producteurs ont l’obligation de livrer les produits qu’ils mettent sur le marché et trop souvent, quand cette obligation n’est pas respectée (sauf quand c’est en cas de force majeure comme un incendie dans une usine), les explications restent vagues. De plus, nous n’avons pas de contrôle là-dessus. Pourtant, des sanctions sont prévues dans la loi mais on ne les applique jamais. Au début de la législature, j’avais questionné Maggie De Block par rapport à ces ruptures et on m’avait répondu qu’il n’y avait pas de contrôle ni de sanctions. Et ici, le ministre Vandenbroucke ne m’a pas répondu. Il est très clair qu’il n’y a aucune sanction envers elles et que la Belgique préfère fermer les yeux, Test-Achats l’a d’ailleurs confirmé il y a peu. À court terme, il est dès lors primordial de les sanctionner quand il s’agit de médicaments essentiels. On peut aussi mettre en place des licences contraignantes où l’idée serait de dire qu’on a besoin de tant de paracétamol et faire comme un appel d’offres et celui qui peut nous livrer remporte le marché, en allant un peu plus vers une économie planifiée, on plaide en tout cas pour ça au niveau européen”. 

Parmi les produits concernés, les hormones de croissance mais aussi l’insuline, indispensable pour les diabétiques, l’Ibuprofène et le Perdolan. Les laboratoires sont sous tension, les professionnels demandent la relocalisation de ces usines en Europe. Le manque de transparence des firmes pharmaceutiques rend la situation globalement difficile à évaluer, une situation qui relance le débat sur la rentabilité du secteur. 

En Belgique, le site web de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), permet d’obtenir une vue en temps réel des médicaments en pénurie. “Il y a une transparence mais seulement à la fin du processus, déplore celle qui est aussi médecin généraliste. Ils ont en effet amélioré l’observation de cette pénurie mais ça ne résout pas notre problème, il reste le même et il s’aggrave. Pour nous, il faut donc reprendre le contrôle sur cette production. On assiste trop souvent à la rupture de stock de vieux médicaments qui ne sont pas rentables. Souvent, la même firme sort une nouvelle génération de traitement plus chère et pour ceux-là, il y a rarement une rupture de stock. On se retrouve alors dans une situation où des médicaments essentiels ne sont plus disponibles”. 

Ludovic Jimenez pour la DH.

 

  


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